Texte publié par l'Association du design urbain du Québec: http://aduq.ca/2012/08/berceau-du-canada/
Gaspé a toujours été représentée comme le symbole du «bout du monde », objet paradisiaque tant convoité par les touristes. Non seulement Gaspé regorge de richesses naturelles et paysagères diversifiées, voire rares et reconnues par le patrimoine de l’UNESCO, mais cette région qu’est la pointe de la Gaspésie s’avère être une des premières découvertes françaises de Jacques Cartier au moment de l’exploration des Amériques en 1534. Cet été, la ville fête son 477eanniversaire. C’est également cette année que Gaspé marque une nouvelle étape dans son développement, car elle amorce les travaux d’un projet de mise en valeur de son patrimoine, comprenant une partie du boulevard de Gaspé, aux abords du bassin. Les rapports fondamentaux à l’origine du continent, sans équivoque, font de la Ville de Gaspé, surnommée «le Berceau du Canada», un endroit qui mérite bien l’attention de tous.
MISE EN CONTEXTE
Après Jacques Cartier, il était coutume pour les nombreux voyageurs européens d’y faire escale. Gaspé n’a pas été fortifiée, malgré maintes demandes à Paris, avant d’être sous le contrôle de l’Empire britannique. Conséquemment, la pêche dans la baie n’a pris son essor qu’à partir du XIIIe siècle, moment auquel la ville fut véritablement colonisée. Le port de Gaspé connut ainsi la gloire pendant quelques centaines d’années. Ce sont à la fois les activités portuaires et le commerce entourant les produits de la pêche qui ont fait fleurir l’économie de la ville. Le tourisme, et plus récemment le développement d’énergies alternatives tel que le secteur éolien, complètent aujourd’hui le portrait d’une époustouflante épopée.
PROJET
Le projet d’aménagement d’une promenade et d’une station d’accueil et d’information, élaboré par Corporation Gaspé, berceau du Canada, englobe un budget de 16 millions de dollars, majoritairement des fonds publics, répartis sur 4 phases et s’étendant sur près d’un kilomètre. C’est à la Pointe O’Hara (Vieux Gaspé), en plein centre-ville, que le projet entame sa première phase. Ces récentes transformations, qui bouleversent une parcelle du paysage, sont destinées à construire l’Esplanade des nationalités (française, anglaise et autochtone). Les concepteurs du projet développent un quai et cinq établissements qui retracent l’emplacement des anciens espaces de pêche et d’habitation. On retrace alors la position centrale de la croix de Cartier qui dicte l’aménagement de l’espace.
Créé comme lieu de rencontre culturel et touristique où on commémorera les plus grands événements nationaux, le projet pourra mettre en scène des d’informations historiques relatant entre autre les premiers échanges avec les Micmacs ou la situation géographique favorable de Gaspé à moult stratégies durant la deuxième Guerre mondiale. Le projet sera également le théâtre d’autres visites et activités qui se renouvelleront annuellement. Le projet est accueilli de façon positive de la part des Gaspésiens et Gaspésiennes. Considérant que la population comptait plus de 15 000 habitants en 2011, l’ampleur du projet semble plutôt respectable à son échelle.
Avec ce projet, Gaspé s’inscrit donc dans le mouvement de revitalisation riveraine qui a déjà transformé de nombreuses villes. Parallèlement, ce projet répond à une pression de la part de divers mouvements écologiques et des Nations Unies qui se soucient de la crise mondiale de la gestion de l’eau. Étant donné la position géographique du projet, celui-ci nous amène à nous questionner sur notre rapport avec l’eau au Québec.
EXEMPLE D’UN GRAND PROJET NORD-AMÉRICAIN QUI REMONTE AUSSI À LA SOURCE :
L’eau a longtemps été, et demeure, l’œuvre de notre destiné. On savait, bien avant l’aube de l’ère industrielle, que la végétation et les arbres dépolluaient et vivifiaient l’environnement. Les projets les plus inspirants proviennent sans doute de Frederick Law Olmsted, qui a légué une partie de son héritage aux Montréalais en façonnant le portrait de la montagne du Mont-Royal. Dans la ville de Boston, son projet The Esplanade fait le pont entre des enjeux similaires à Gaspé, tels que la préservation du patrimoine culturel et naturel; voilà qui coule de source.
Le projet de Gaspé s’inscrit dans une époque et un contexte bien différents, mais ces deux projets touchent à la question centrale de l’eau comme lieu commun et démocratique. Faire des liens sur des idées innovantes qui ont 150 ans de différence peut nous amener à remonter à la source de façon plus éclairée. À l’époque, les architectes paysagistes concevaient les plans pour assurer une saine oxygénation et un niveau d’hygiène supérieur. Comment considérons-nous les plans d’eau aujourd’hui?
Bien plus qu’un miroir pour le coucher du soleil, l’eau est aujourd’hui porteuse de nombreux enjeux. La réappropriation d’une berge entraine une réflexion certaine sur la durabilité du projet et sur notre usage et notre gestion de l’eau.
On peut aisément remarquer, à travers les médias, la grande popularité des projets d’aménagement urbains qui redéfinissent les nombreuses rives marquées par l’industrialisation. Sensibilisés par une certaine crise de la gestion des eaux, il y a fort à parier que les villes Nord-Américaines seront de plus en plus nombreuses à entreprendre de tels projets. Des projets qui allient design urbain et conservation du patrimoine comme celui du Berceau du Canada représentent une excellente initiative d’un renouveau paysagé marqué par un important rappel historique, surtout lorsque l’objectif est aussi de limiter une artère routière sillonnant la rive. Ces projets permettent de mettre en valeur à la fois le patrimoine bâti et naturel d’un lieu. Il ne faut pas perdre de vue que l’eau et la nature sont en soi notre patrimoine.
Olmsted ne prétendait pas que l’homme était supérieur à tout, car il avait compris que le projet de paysage à long terme est pertinent non seulement pour requalifier l’environnement, mais aussi pour recadrer l’écosystème (celui dont nous dépendons) avec l’homme. Que penserait Olmsted, un homme à l’avant-garde du design urbain, du courant que prend la pratique ces dernières années?
Rédigé par Carolyn Kelly-Dorais
Designer urbain, M.Sc.A, membre de l’ADUQ